À Châlons, un projet avorté (1705)
Au début du XVIIIe siècle, le chanoine Pierre Roussel rédige un testament par lequel il lègue au chapitre de Châlons ses livres et ceux de son oncle Pierre Roussel (décédé le 27 octobre 1704), ses rayons et ses tablettes, ses estampes et ses tableaux, pour être installés dans une maison devant l’église de la Trinité, à charge pour le chapitre de l’ouvrir le mardi et le jeudi de 11h à 15h « pour la satisfaction du public ». Le règlement intérieur doit être le même que celui de la bibliothèque du chapitre cathédral de Reims. Roussel invite les chanoines à « léguer, après leur mort, leurs livres pour augmenter ladite bibliothèque publique » (14 janvier 1705, [cote à retrouver]).
Un testament plus tardif, du même, renouvelle le don au chapitre « des livres de sa Biblioteque avec les tablettes de bois pour mettre lesd. livres, et les deux portraits l’un dudit deffunt sieur Pierre Roussel et le second du sieur Testateur […] pour etre mis dans la biblioteque du Chapitre et ce pour aider a en faire une semblable que celle du Chapitre de Notre Dame de Reims » (AD Marne, 4 E 1038, notaire Le Nain, 16 décembre 1726). Il n’est plus question d’en faire une bibliothèque « publique ». Ce don est assorti de clauses très lourdes. De fait, les chanoines contestent ce testament face à la famille et à Marie-Catherine Roussel, légatrice universelle. L’inventaire réalisé à la mort de Pierre Roussel, les 23-28 février 1728, montre l’importance de la bibliothèque : 175 livres in folio (prisés 80 lt), 136 livres in 4° (40 lt), 152 livres in 8° (20 lt), 731 volumes in 12 (100 lt), 20 livres in 16 (4 lt), 20 volumes de gazettes en carton (1 lt), 925 volumes en parchemin tant in 4° in 8° que in 12 (25 lt), 169 livres tant brochés qu’en papier (2 lt), un bréviaire romain en deux parties et un missel romain in 8° (8 lt), sans compter les livres conservés dans la chambre à coucher, exclus du legs.
Il ne semble plus y avoir de velléités d’ouvrir une bibliothèque publique à Châlons avant la Révolution. Le chapitre entretient sa propre bibliothèque (AD, G 724 pour les années 1762-1767), tandis que la Société littéraire (1720-1728) puis Académie des sciences, arts et belles-lettres de Châlons (fondée en 1775 mais préparée depuis 1750) constituent des bibliothèques dont le contenu renvoie aux centres d’intérêt des académiciens (périodiques, journaux littéraires, ouvrages relatifs aux questions agricoles et au commerce, biographies, ouvrages scientifiques, peu de droit, de religion et de philosophie). Elle constitue « un exemple de bibliothèque collective où s’opère une sorte de synthèse des préoccupations du milieu châlonnais et des milieux académiques. » (D. Roche)
Sources manuscrites
AD Marne
B 663. Inventaires, Pierre Roussel, 1728.
4 E 1038. Notaire Le Nain, 16 décembre 1726.
1 G 460-461. Testaments et fondations (1317-1779).
Bibliographie
R. Gandilhon, « La bibliothèque de la société littéraire et de l’académie des sciences, arts et belles-lettres de Châlons (1720-1728, 1750-1793) », Mémoires de la société d’agriculture, commerce, sciences et arts du département de la Marne, 2e série, t. XXXI, 1957, p. 73-90. [catalogue des 218 titres déposés par la Société aux archives de la Marne]
D. Roche, « La diffusion des Lumières. Un exemple : l’académie de Châlons-sur-Marne », Annales ESC, 1964, p. 887-922. [analyse de la bibliothèque académique et comparaison avec l’offre de librairie et bibliothèques privées locales]
H. Menu, « La société littéraire et l’académie des sciences, arts et belles-lettres de Châlons-sur-Marne », Mémoires de la société d’agriculture, commerce, sciences et arts du département de la Marne, 1868.
Pistes de travail
- reprendre le dossier des testaments de Roussel
À Vitry-le-François, une fondation pour un collège ? (1760)
Jacques Deüil (parfois orthographié Dueil ou Deuil), originaire de Châlons, est conseiller-clerc au présidial de Vitry (AD Marne, C 2518, fol. 25, 30 novembre 1724). Il est l’auteur d’un ouvrage sur Le molinisme et qualifié par un témoin de « vieillard respectable » au moment des États tenus à Vitry.
En 1763, les pères de la Doctrine chrétienne qui tiennent le collège de Vitry, acceptent le legs de la bibliothèque de Deuil (AD Marne, D 240, fol. 25).
Sources manuscrites
AD Marne, D 240.
Pistes de travail.
On n’en sait guère plus sur ce legs et sur la dimension « publique ». C’est dans les archives de ce collège qu’il faudrait chercher pour en savoir plus, en particulier dans les archives comptables (D 248-251), ou dans les archives notariées (4 E 769, notaire Tisserand).
À Reims, le destin raté des livres jésuites (1772)
Ouvert en 1608, le collège des jésuites de Reims possède une importante bibliothèque logée dans un espace somptueux, chef-d’œuvre de l’art baroque, réalisé vers 1670. On peut en voir encore aujourd’hui les boiseries et plafond à caissons, après que la bibliothèque a un temps servi de lingerie pour l’hôpital général qui occupait les bâtiments au XIXe siècle.
Après la suppression de la Compagnie, la question se pose, comme ailleurs dans le royaume, d’utiliser les livres jésuites pour fonder une bibliothèque publique. Adrien-Joseph Havé (1739-1817), ancien avocat au parlement de Paris, homme de lettres et bibliophile, joue un rôle majeur dans ce projet. En 1762, il a rédigé le catalogue de la bibliothèque du collège sur ordre du procureur du roi au baillage de Reims [BM Reims, ms. 2007]. En 1772, il adresse au conseil de ville un mémoire dans lequel il propose de fonder une collection publique en rassemblant les livres jésuites, le legs laissé par l’abbé Pluche et le cabinet de Félix de la Salle-Allan, ancien garde du corps du roi, qui est alors en vente chez le libraire Prévoteau et qu’il propose d’acquérir par souscription [BM Reims, ms. 2012].
Ces tentatives, alors vaines, sont rappelées, trente ans plus tard, dans sa Lettre à M. D*** sur l’établissement d’une Bibliothèque publique dans la ville de Rheims (Épernay, imprimerie de Warin Thierry, 1806). À cette époque, il vient d’être chargé par le maire de recenser les ouvrages issus des saisies révolutionnaires pour fonder la nouvelle bibliothèque publique. Mais au début des années 1770, ses initiatives s’inscrivent dans un autre contexte : Havé a lancé en 1771 un journal d’annonces, les Affiches de Reims, qui participent pleinement de la promotion de l’utilité publique. Il y annonce d’ailleurs son projet de bibliothèque publique (1773, p. 111, 126, 174).
Sources manuscrites
BM Reims, ms. 2007. « Catalogue de la bibliothèque des R. P. Jésuittes de la maison de Reims. 26 may 1762 ».
Sources imprimées
Adrien-Joseph Havé, Lettre à M. D. sur l’établissement d’une Bibliothèque publique à Rheims, Épernay, 1806 (Bibliothèque de Reims CR V 2068 BIS P).
Adrien-Joseph Havé, Affiches de Reims, 1773.
Bibliographie
Voir les notices sur Havé proposées par la BM Reims et dans le Dictionnaire des journalistes.
À Langres, une mise en place laborieuse (1773)
À Langres, patrie de Diderot, une bibliothèque publique est fondée à l’initiative de Zacharie Legros, chanoine de la cathédrale, le 1er septembre 1773. Le projet est bien doté : le fondateur affecte la somme de 4000 l. à l’acquisition de livres et constitue une rente de 3000 l. dont les revenus doivent être utilisés pour payer le bibliothécaire, enrichir et entretenir la bibliothèque. Le chapitre est chargé de la gestion financière et de l’aménagement d’un lieu approprié, tandis que des administrateurs ecclésiastiques et laïcs doivent rédiger le règlement et élire le bibliothécaire.
Le retard considérable dans la mise en oeuvre du projet vient des difficultés d’installation de la bibliothèque (AD, 2 G 75-76). Après avoir considéré toutes les possibilités de placer les livres dans un local dépendant de lui, et beaucoup atermoyé, le chapitre s’en remet à la proposition des administrateurs laïcs d’aménager une salle « au-dessus de celle des Pas-Perdus ». Sans être réellement municipalisée, la bibliothèque se trouve désormais dans un bâtiment municipal. À partir de 1785, le corps de ville prend les choses en main et fait aménager la salle, tandis que le conseil nomme un bibliothécaire et rédige le règlement (BM, ms. 137).
La bibliothèque ouvre finalement au public le 23 mai 1786. On sollicite, d’hommes de lettres natifs de Langres, des bustes et le don de leurs œuvres (AM, 1162 et 1309). Un catalogue est dressé en 1790 (BM, ms. 135).
Sources manuscrites
AD Haute-Marne
2 G 75. Délibérations du chapitre, 1773-1779.
2 G 76. Délibérations du chapitre, 1784-1790.
AM Langres
Les archives relatives à la fondation de la bibliothèque ont été détruites par un incendie en 1892 mais l’inventaire donne des éléments de contenu intéressant (Jullien de La Boullaye, Inventaire sommaire des archives communales de Langres antérieures à 1790, Troyes, J. Brunard, 1882).
art. 233. Double du projet d’établissement d’une bibliothèque publique à Langres.
art. 406. Titre d’établissement d’une bibliothèque publique par M. l’abbé Legros, chanoine.
art. 1162. Lettres adressées au corps de ville par Marivetz, Pahin de la Blancherie, Fallet, relatives à l’envoi leurs bustes ou de leurs ouvrages que la Ville leur avait demandés pour sa bibliothèque ; lettre de Mme de Vandeul, fille de Diderot, au sujet de la demande des ouvrages de son père ; lettres de Sallier, bibliothécaire du roi, des comtes de Choiseul et de Rose, de Ferrand, de la vicomtesse de Rivière qui fait don d’un canon à la ville, 1746-1793.
art. 1309. Acte d’établissement de la bibliothèque, 1er septembre 1773. Achat de livres. Délibérations du corps de ville concernant l’emplacement et l’arrangement de la bibliothèque, le don de l’Encyclopédie fait par M. Voinchet de Versailles, la demande à Diderot de son portrait. Comptes de recettes et dépenses pour travaux exécutés à la salle de la bibliothèque et pour frais de port des bustes et ouvrages de Diderot, Marivetz et Fallet. Lettres de l’abbé Feyton, bibliothécaire, chargé d’obtenir ces objets des trois auteurs langrois et de remplir une semblable mission auprès de l’abbé Duvoisin, Pahin de la Blancherie, Philpin de Piépape [cf. 1162]. Reliquat du compte de l’avocat Chevilley, bibliothécaire.
BM Langres
Ms. 135. Catalogue raisonné des livres de la bibliothèque fondée par M. l’abbé Legros, dressé en 1790 par M. Régnier, fils aîné.
Ms. 137. Registre des délibérations de Messieurs les administrateurs de la bibliothèque de Langres du 1er mai 1784 au 20 fructidor an IX. [numérisé]
Bibliographie
Marcel, « Les origines de la bibliothèque municipale de Langres », Bulletin de la Société historique et archéologique de Langres, n°122, 1928, p. 253-274 [article très documenté].
Pistes de travail
- Analyse du catalogue de 1790
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Emmanuelle Chapron (23 janvier 2024). Les bibliothèques publiques de la généralité de Châlons (2) : Châlons, Vitry, Reims et Langres. Histoires de bibliothèques. Consulté le 19 septembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/vnv9